Lulu

Texte envoyé par Michel.

 

"Encore des souvenirs très lointains !


1908-1909

Je crois pouvoir me souvenir de quelques faits datant de 1908 ou 1909.
C’était à BACCARAT où je suis née en 1906. Nous habitions dans une cité ouvrière dépendante de la «Cristallerie», une usine très réputée dans le monde.
Nous logions dans un appartement vraiment d’un style plus «qu’ancien», au deuxième étage avec peu de «commodités». Evidemment, pas de cabinet de toilette, la toilette se faisait à la cuisine. A ce logement «dit gratuit», était attaché un tout petit bout de «jardin», situé à quelques pas. Il était juste assez grand pour cultiver «les assaisonnements».
Le salaire de mon père était modeste, il était ouvrier à la Cristallerie. Son salaire, donc, était aussi petit que le jardin. Mais, c’était une coutume. De père en fils, dès l’âge de 11 ans, les garçons devenaient forcément ouvriers à l’usine où ils entraient pour des journées de plus de 10 heures, 6 jours par semaine, sans vacances, sauf le 14 juillet, le Lundi de Pâques, la Pentecôte et le jour de la fête locale.

Quelques-uns d’entre eux à la fin de leur service militaire ne revenaient pas en Lorraine. Par des camarades de régiment, ils avaient pu trouver un emploi dans d’autres régions, selon leurs possibilités et parfois accédaient à des postes importants.
Ainsi, trois cas dans notre famille:


* Un frère de mon père a accédé, à force d’efforts, à un poste de Directeur à
la «Lorraine-Dietrich», à Argenteuil.
* Un frère de ma mère, lui, accédait au poste de Directeur de la publicité, aux
«Editions Bergers-Levraut», à Nancy (Editions Nationales).
* Un autre frère de mon père, ANTOINE, faisant des études. Il est entré chez
les Missionnaires Pères Blancs du Cardinal Lavigerie. Il fut d’abord
professeur à l’Institut Sainte-Anne à Jérusalem, avant de partir en Afrique,
en Haute-Volta.

Dans l’année de mes trois ans et dans ce premier appartement, je me rappelle aussi ma soeur, Marie-Thérèse, née en décembre 1909 et baptisée avec de l’eau du Jourdain, rapportée par l’oncle ANTOINE, le Père Blanc, venu en permission avant de prendre son nouveau poste en Haute-Volta. Je dois dire qu’il était aussi le parrain de ma soeur.

Elle est décédée en juin 1910, d’une méningite. On m’avait emmenée chez mes grands-parents maternels. Le convoi des obsèques passait devant chez eux, ma grand-mère au travers des rideaux, m’a laissé regardé.
J’ai éclaté en sanglots.

Ma grand-mère faisait tout pour me consoler mais, elle était loin de se douter des causes de ma peine qui était provoquée par l’idée qu’on emmenait mon petit lit où ma soeur Marie-Thérèse avait été déposée après son décès.


Mes grands-parents, paternels et maternels, habitaient aussi dans cette cité des Cristalleries que l’on nommait la «Cour des Cristalleries» dans laquelle se trouvaient aussi le Château et les Résidences des Directeurs et Administrateurs de l’usine.
Je voyais très souvent mes grands-parents et j’avais une préférence pour mon grand-père maternel (Augustin). C’était mon grand-père GUSTIN !
Il jouait souvent avec moi et ce dont je me souviens le plus, c’est l’immense plaisir que j’éprouvais lorsqu’il me faisait entrer dans ses cabanes à lapins: c’était une grande joie !

Il élevait , en effet, quelques lapins dans une partie éclairée de sa cave, car mes grands-parents étaient un peu mieux logés que nous l’ancienneté jouant en leur faveur. Quant à mes jeux dans les cages à lapins, il ne fallait surtout pas en parler à la grand-mère qui était plutôt sévère.
Je me sentais très proche, aussi, de ma grand-mère paternelle, ma «Grand-mère Gâteaux». Elle en avait toujours plein son buffet. Elle se ravitaillait chaque semaine auprès de marchands ambulants, charrettes de chez «FELIX-POTIN» ou de chez «CAIFFA».
Son mari était le «Grand-père la Pipe», fumeur enragé.

Je ne peux situer avec exactitude la période de ces souvenirs. Et pour les situer, je me réfère aux images qui me restent de l’appartement occupé.

Et donc, entre mes deux et trois ans, nous étions éclairés à la bougie et à la lampe à pétrole. Cela jusqu’à environ l'année 1911. Je me souviens de faits d’avant la naissance de ma deuxième soeur, née le 25/12/1909. Mais je n’ai gardé aucun souvenir de sa naissance. Ce qui me donne à penser que certains faits se sont produits avant cela et parce qu’alors j’étais seule avec mes parents.
Mon père avait fait son service militaire dans les «Chasseurs à Cheval» et plus précisément dans les «Eclaireurs». Je ne me souviens plus de la durée de ce service, mais je garde l’impression qu’elle a été très longue certainement, avec en plus des «périodes» de temps en temps. Il était sous-officier.

Une année, lors d’une de ces périodes militaires, nous sommes allées, ma mère et moi, assister à un défilé à Nancy, auquel participait mon père.
Nous nous tenions sur un balcon de la rue principale, la rue Saint-Jean. C’était là qu’habitait, alors, le frère marié de ma mère. J’étais heureuse de voir passer mon père à cheval dans un défilé multicolore dû aux tenues des militaires.
La tenue de mon père: pantalon rouge, veste bleue ciel, des brandebourgs argentés, képi accordé.

Hors des périodes militaires, il fut, également avec d’autres ouvriers de l’usine, réquisitionné pour aller «mater» les grévistes du Nord de la France. Je ne me souviens pas des dates, mais cela veut dire qu’il passait alors probablement autant de temps à l’armée qu’à l’usine. C’était la loi d’alors. Que pensait-il de cette réquisition ? Quel rapport avait-il avec ces grévistes ? A la maison, les enfants, de tous temps, n’étaient mis au courant de rien de ces détails de l’existence. Pendant ces périodes militaires, mon père avait-il droit à des indemnités ? Je ne sais. Nous ne savions rien non plus de ces éléments de la vie courante.

 

Photo de famille prise dans le Parc attenant au pensionnat du château de Gondrecourt à Baccarat en août 1910.
Debouts, de gauche à droite:
- Clémence SIGVARD (nom de jeune fille VALANTIN), mère de LULU;
- Lucien SIGVARD, père de LULU;
- Léonie DEMANGEOT, cousine des VALANTIN, donc de Clémence;
- Paul VALANTIN, également cousin de Clémence SIGVARD;
- La femme de Paul VALANTIN;
- Jeanne VALANTIN, la soeur de Clémence SIGVARD, (Tante Jeanne !);
- Marie VALSAQUE, professeur d’enseignement ménager au Pensionnat,
amie de Jeanne;
-Non identifiée, sans doute aussi une enseignante ;
- Mademoiselle SCHAFFAUSER, institutrice de LULU.
Assis, de gauche à droite:
- Joséphine SIGVARD grand-mère paternelle de LULU (nom de jeune fille
DEMANGECLAUDE);
- Son mari, grand-père paternel SIGVARD de LULU;
- Augustin VALENTIN, grand-père maternel de LULU, le fameux GUSTIN;
- Lucienne SIGVARD, LULU, elle a 4 ans.


Autre chose: quel âge avais-je ? Je ne m’en rappelle pas avec précision. Le boulanger, ou plutôt le garçon boulanger, passait près de chez nous, comme d’ailleurs d’autres ambulants, lait, fromage, épicier. Ce garçon boulanger que je suivais quelques fois dans sa tournée m’a proposé une fois de m’emmener là où il logeait, une chambre chez ses patrons. A la fin de sa tournée, il m’a mise dans son triporteur et entrant par une porte cochère, je me retrouvais dans sa chambre. Il a commencé à me montrer des photos de famille, me donner des bonbons, mais c’est tout, il était très gentil. Et comme ma mère ne me voyait pas rentrer, je ne sais ce qu’il s’est passé, mais au bout d’un long moment, ses patrons sont venus dans la chambre et ont averti ma mère. Tout est bien qui a fini bien !

L’ECOLE ENFANTINE

Lulu est la deuxième à partir de la droite; au fond, Mademoiselle Schaffausser.

J’ai beaucoup de bons souvenirs de mon école, la petite école maternelle, qu’on appelait, école enfantine. C’était une «école libre». J’adorais ma maîtresse d’origine alsacienne, Mademoiselle SCHAFFAUSER. Il faut dire que je l’ai connue bien avant mon entrée à l’école du fait que ma Tante Jeanne avait une amie «enseignante en pratiques» dans cet établissement. Cette amie, devenue par la suite «notre Tante Marie», avait amené la famille à rencontrer mon institutrice.
Mais, dès que je suis montée à l’étage de cette école, dans les classes successives, mon dégoût pour la vie scolaire ne fit que s’accentuer. La Tante Marie avait quitté l’école et avait accompagné ma Tante Jeanne et mes grands-parents à Lourdes, pour aller y exploiter une «pension de famille».
Le nom de mon institutrice était difficile à dire et mes parents voulaient me le faire prononcer. Ils n’ont réussi que grâce à mon entêtement à refuser. «Non, je ne dirai pas SCHAFFAUSER». Je crois que je n’avais guère plus de trois ans.

1911-1912

A cette époque, mes jeux étaient très simples. Pas de jouets achetés, à part quelques poupées très ordinaires que ma mère, qui était couturière, habillait. Je me souviens encore d’un Noël ou plutôt d’une Saint-Nicolas, je devais être plus âgée, peut-être six ou sept ans, parce que nous avions déménagé et repris le logement un peu plus grand et plus commode qu’occupaient les parents de ma mère, qui l’avaient quitté, en 1912, pour aller s’installer définitivement à Lourdes y «tenir» une pension de famille.
Dans ce nouveau logement, il y avait un étage. Il était aussi dans la «Cour des Cristalleries» qui comprenait des petites maisons accolées (genre coron). Un escalier partait de la cuisine qui était la pièce d’entrée. En haut, j’étais supposée dormir pendant que ma mère cousait pour le compte de Saint-Nicolas. Car c’était à la Saint-Nicolas, patron de la Lorraine, qu’on recevait les «cadeaux», si l’on peut dire. Mais je ne dormais pas et très doucement me tenais en haut de l’escalier tournant, sur le palier, entre deux barreaux. J’apercevais ma mère qui cousait les habits de poupée. Je me gardais bien de la déranger.


La nuit de la Saint-Nicolas, «les Saint-Nicolas» allaient de porte en porte, le cas échéant, distribuant les cadeaux remis auparavant par les parents. Ils étaient accompagnés d’un «Père Fouettard» qui distribuait, lui, des martinets tirés de sa grande hotte d’où, quelques fois, «sortaient» des jambes chaussées, ce qui impressionnait beaucoup les enfants.

1912-1914


Après 1912, venue habiter dans le logement libéré par le départ de mes grands-parents et de ma Tante Jeanne, je voyais assez souvent, de la fenêtre de l’étage, passer des voitures. C’était des berlines à chevaux, quelques petites autos aussi amenant des invités au Château pour des réceptions.
Parmi les invités, il y avait beaucoup d’officiers. BACCARAT était une ville de garnison, du 17° et du 20° Corps d’Armée de Chasseurs à pied, notamment. L’armée donnait souvent des concerts en ville.
Nous, les gamines, nous allions quelques fois près du château, grimpant sur le mur de clôture du parc où, parfois, se tenait «des soirées». Je suis allée quelques fois aussi à la cuisine du Château. La fille de la cuisinière, Suzanne PERTUSOT, était une copine. Je visitais ainsi les écuries.
Noël était fête très religieuse. En attendant d’assister à la messe de minuit, nous jouions en famille: cartes ou autres. Après la messe, on réveillonnait, réveillon très modeste avec un bol de café au lait. Ma mère faisait une sorte de brioche. Je ne me souviens pas d’avoir mangé de bûche de Noël.

Notre vie de famille n’était pas compliquée. Pas de sortie, sauf le dimanche avec messe, vêpres et «salut» du soir.
On m’a raconté que, j’étais alors très petite, ma mère, une fois, me laissant endormie un dimanche matin pour assister à une messe «basse» dans une chapelle tout à côté de la maison, m’a retrouvée criant, coincée entre les barreaux de mon petit lit. J’étais déjà très «remuante» !

Comme je le disais, nos sorties étaient rares. Je me souviens d’un jour, un dimanche, avant la guerre de 1914, mes parents avaient décidé d’aller en Alsace, rendre visite à des cousins. L’Alsace, alors, était allemande. Je dois vous expliquer qu’une partie de la famille de mon grand-père paternel (SIGVARD) était restée en Alsace. C’était exactement à Saint-Louis-les-Bitches, autre célèbre Cristallerie, où toute la famille travaillait.
Mais un frère de mon grand-père ainsi que ses soeurs - une soeur religieuse, Soeur Marie-Léopoldine - y étaient restés pour ne pas perdre leur emploi. Seul, mon grand-père est venu s’exiler à BACCARAT où il a pu être employé à la Cristallerie.

Longtemps, les deux familles sont restées sans contact. Un cousin de mon père avait une fonction importante à l’usine de Saint-Louis-les-Bitches. Sa soeur s’est mariée et son mari est devenu Directeur des Chemins de Fer d’Alsace-Lorraine. Il s’appelait Irénée THORLOTURG.



Augustin Valantin, frère de Clémence et de Jeanne.



Pour en revenir à notre petit voyage, nous sommes partis en train, en quatrième classe, c’est à dire dans un wagon appelé «baladeuse». Il nous fallait franchir la frontière et il nous restait un certain temps d’attente avant de reprendre le train nous amenant à Saint-Louis-les-Bitches.
Comme nous étions un dimanche, mon père proposa d’assister à un office religieux. Nous sommes entrés dans une église. L’office commence et bizarrement on ferme les portes. On nous remet un livre et une sorte de procession commence. C’était donc un «office forcé» !
Il faut dire, ici, que nous nous étions trompés de «local». Nous étions entré dans un temple protestant, les portes étant tenues solidement fermées durant l’office. Et lorsque nous sommes sortis, enfin libérés, notre «train- correspondance» était parti.
Comment sommes-nous arrivés à Saint-Louis-les-Bitches? Je ne m’en souviens plus, mais je me vois dans la cité ouvrière de cette usine. Visite évidemment écourtée, mais le retour fut tout à fait normal.
Je me souviens d’une autre sortie à quelques kilomètres, toujours en train «baladeuse». Mais sur la ligne de Saint-Dié. Entre BACCARAT et Raon-l’Etape, nous avons visité la «Pierre d’Appel». C’est un petit village que domine un grand rocher où l’on peut s’entendre en écho.
A part cela, la semaine: école. Et le dimanche, entre les offices religieux, c’était la «tournée visite» des grands-parents. Des cousins, quelques fois, résidaient avec eux. Et aussi, la visite du cimetière, c’était la coutume, tout au moins dans ma ville.
Le jour des Rameaux, après avoir assisté à l’office de la Bénédiction des Rameaux - qui n’étaient, d’ailleurs, que des jeunes branches en bourgeons que nous appelions «pampilles» - nous en piquions une tige sur les revers de nos parents et amis.

En semaine, je n’aimais pas trop rester à la maison. J’allais jouer aux boules avec quelques petites filles. En fait, il s’agissait de petites billes en verre. Mais le jeu était acharné. De même on jouait aux épingles. Il s’agissait d’épingles à tête de verre. Chacune d’entre nous confectionnait des portes-épingles.
Souvent, cela consistait à découper un carton de forme originale ou, plutôt, deux cartons égaux, recouverts d’un tissu, retenus à l’envers et ensuite rattachés ensemble. Les épingles se piquaient tout autour de cet «objet d’art». Gagner une épingle multicolore était un exploit. Le jeu consistait à tracer un rond sur le sol et à lancer d’une certaine distance dans ce rond. Il y avait des subtilités, ensuite des conventions, bref, cela ouvrait quelques fois des discussions bruyantes.
Dans la Cour des Cristalleries il y avait de belles allées de platanes, des pelouses aussi. Nous aimions, entre «copines», confectionner des habits en feuilles de platane. La queue de la feuille servant d’épingle pour monter ces «armures» originales et quelques fois très recherchées comme «chefs-d’oeuvre».

Cependant, mes jeux n’étaient pas toujours si tranquilles. Nous jouions à la «grotte», et dans cette grande cour, il y en avait beaucoup.

Ce qui m’a amenée une fois à désobéir en allant dans des endroits remplis d’obstacles, bouts de cristaux cassés, rails de wagonnets, bref, je suis tombée.
Il m’arrivait assez souvent d’avoir les genoux «couronnés». Ce jour là, ce fut ma figure qui se parait d’une belle fente sur une joue. Je n’étais pas fière de rentrer à la maison, mais tout s’est bien passé.
Il y avait, aussi, des jeux «dangereux». Mais toujours, à ce moment là, je laissais mes camarades à leurs «jeux malpropres».
En 1912, nous déménagions pour habiter dans le logement qu’occupaient mes grands-parents maternels définitivement partis de BACCARAT, mon grand-père ayant pris sa retraite. C’est à contrecoeur qu’il partit, lui qui avait des propriétés, vergers, potagers, bois, champs, où il aimait aller, le soir, en plus de ses activités à l’usine.

Ma mère était d’une grande exigence quant à la propreté de l’appartement. Je dois avouer que souvent la corvée d’époussetage ne me réjouissait pas.
Par contre, il y avait un meuble qui ne me répugnait pas de nettoyer. C’était une commode. Elle avait un dessus de marbre où étaient exposés, un peu trop à mon goût, des photographies dans des cadres, des sous-verres posés comme des chevalets, des statues, des vases et, au centre, un globe en verre ou cristal, du genre «cloche», mais sûrement en cristal, mon père ayant même dû le confectionner.
Ce globe protégeait la couronne de mariée de ma mère, couronne de fleurs d’oranger reposant sur un coussin rigide, en velours rouge, cerné par de l’or. Il y avait aussi un joli coffret à bijoux, sur pied en verre et or. Il fallait déplacer tous ces bibelots pour enlever la poussière.
Moi, je me souviens de la joie que j’avais, alors, lorsque j’essuyais la statue de Saint-Joseph qui tenait l’Enfant-Jésus dans ses bras. Je prenais tout mon temps pour regarder l’Enfant-Jésus qui semblait me sourire. Je dis semblait, car j’étais, alors, une petite enfant. Mais plus j’y pense et plus j’ai l’impression de l’avoir vu vraiment me sourire et cela à plusieurs reprises. Je ne pouvais manquer d’oublier ce fait. Je l’ai dit seulement à ma mère et à personne d’autre.
Je peux affirmer, pourtant, que je n’ai jamais été une mystique et que, d’ailleurs, je détestais beaucoup le moment de la prière du soir en famille où chacun à son tour récitait la sienne à haute voix.


1914-1918


Henri-Félix Sigvard, sa femme Anna et leur fille Angèle, plus tard Galois, dans la Cour des Cristalleries de Baccarat – 1916.


J’avais quitté l’école «enfantine» pour «monter» au cours primaire. Passe encore les premiers temps, mais jusqu’à 11 ans, ce fut dur pour moi !
Il me restait tout de même quelques habitudes dues à un cours du samedi matin, où l’on devait se tenir, debout ou assise, les bras dans le dos.
Cours de politesse, de bonne tenue, un peu d’instruction civique, même si dans cette pension on préférait de beaucoup le royalisme à la république. Mais le minimum de cette politesse que j’ai gardé, je ne le regrette pas. Il y avait aussi des cours de couture, de musique, de solfège, de chants. Surtout de chants et de poésies patriotiques.

Mon école était à GONDRECOURT, c’était un pensionnat «chic», avec son internat situé à DENEUVRE. Nous avions un uniforme. DENEUVRE, ancienne ville fortifiée où, précisément, mon école se trouvait dans un ancien château fort. Il avait une très belle allure, dominant la plaine de la Meurthe et la ville de BACCARAT. Dans le prolongement de ce château fortifié, était installée la gendarmerie. Il était ceinturé par des remparts, presque tous détruits, sauf une tour, appelée «Tour des Voués». J’ignore pourquoi. Jouxtant le château, un joli bois où lorsqu’il faisait soleil se tenaient les récréations.
Dans une partie du château, on trouvait l’entrée grillagée des oubliettes. On nous laissait entrevoir une toute petite partie de cet endroit très humide. Le petit bois communiquait avec l’église de DENEUVRE, plutôt une sorte d’oratoire, parce qu’il n’y avait pas de chapelle au Château qui avait pourtant de nombreuses dépendances.
L’internat recevait environ 30 à 40 élèves de la région, issues de familles aisées, industriel, hôteliers, ces élèves venant surtout d’Alsace, de Strasbourg.

Je n’avais pas précisément de petites camarades. En dernière classe, c’est à dire, pour moi, entre dix et onze ans, année de préparation à ma communion solennelle (1917) (voir photo plus bas), il était d’usage, à la paroisse Saint-Rémy d’avoir une compagne de communion. Je ne sais pourquoi.
La mienne, choisie réciproquement, était la fille d’un commerçant en faïences, porcelaines, verreries, cristaux, tenant un grand magasin.
Nous sommes restées amies longtemps, mais en quittant BACCARAT, elle a résidé à NANCY où ses parents tenaient un magasin de tissus et j’ai eu l’occasion, bien plus tard, de la revoir, invitée chez elle, lorsque j’allais à NANCY pour suivre d’autres cours. Elle s’appelait SIMONE VESSIERE. C’est grâce à son intervention que j’ai pu être recommandée à une école privée professionnelle à NANCY où j’ai passé mon CAP de modiste, avec mention bien. Mon ouvrage ayant été exposé, j’ai obtenu une médaille d’argent !

1914, c’est le début de la dite «guerre mondiale», commencée fin juillet 1914.
Mon père «Eclaireur» dans l’armée de conscription, avait un ordre éventuel de départ en cas de conflit. Il a dû partir dès la déclaration de guerre affichée.


Lucien Sigvard, père de Lulu (photographie G.Foutzer, 19 rue de Frouard – Baccarat – 1916).

Mobilisation le 1° août 1914, annoncée par le tocsin. Juste quelques heures pour se préparer. Je ne comprenais pas bien la situation, mais j’ai vu ma mère devenir très malade.
Comme nous étions près de la frontière, les allemands ont très vite occupé BACCARAT qui fut sous les bombardements et dès le 1° jour nous avions installé nos matelas à la cave dont le plafond était en partie voûté.

Il y a eu une grande bataille le jour de l’arrivée des allemands. Ils ont pratiquement tué tous les soldats français qui battaient en retraite. Ils ont fait sortir du centre ville les personnes âgées et les invalides. Ils ont mis le feu à ce plus beau quartier. L’usine, ils l’ont protégée, ils pensaient qu’ensuite, elle leur reviendrait, la guerre gagnée.
Les soldats français tués ont tous été enterrés en fosse commune dans les pelouses au centre de la Cité des Cristalleries, pour ainsi dire, sous nos fenêtres.

Des soldats allemands, trois avaient été tués, je crois même qu’ils étaient officiers. On les a également enterrés dans une des pelouses situées au centre de cette cité ouvrière. Trois tombes séparées. Dans ces pelouses, dans une partie, il y avait des installations de matériel allemand. Le tout dominé par un drapeau allemand. Nous, les gamines, on avait formé le projet d’aller avec une paire de ciseau le découper en morceaux, car nous circulions facilement, nous les gosses, dans toutes leurs installations.

C’est au petit matin, vers quatre heures, que les allemands sont entrés et je voyais leurs bottes par le petit vasistas, au ras du trottoir de la cave. Ils ont frappés très fort à la porte, sans arrêt. Un soldat allemand armé est descendu à la cave. Me voyant couchée il dit en français «dors petite». Ma mère a suivi pour la perquisition de la maison jusqu’au grenier. Ensuite, ils ont fait mettre tout le monde sur le pas de la porte avec des soldats allemands armés face à toutes les entrées, pendant plusieurs heures. Personne n’avait eu le temps de déjeuner.
Nous étions assises sur la plus haute marche des quatre de l’entrée.
Au bout d’un moment, ma mère se leva (elle portait une insigne tricolore à son corsage !) en faisant signe qu’elle rentrait. Les portes étaient grandes ouvertes, l’allemand qui nous surveillait ne dit rien. Ma mère ouvrit la fenêtre de la cuisine et prépara le déjeuner. Elle revint avec nos deux bols et du pain. Elle porta aussi un bol de déjeuner à une vieille voisine. Et il était temps ! Parce qu’un moment après, l’ordre était donné à tous les habitants de la Cour des Cristalleries, d’aller dans la Chapelle Sainte-Anne, située dans cette même cour, près du Château. Les allemands ont refermé les portes sur nous. A l’intérieur, nous étions apeurés. On nous fit la menace de mettre le feu à la Chapelle si la personne qui avait tué un soldat allemand ne se dénonçait pas. Le directeur de l’usine, enfermé lui aussi, s’est proposé comme otage. Ce qu’ils ont accepté. Nous avons été libérés.
Pendant ce temps, d’autres allemands sont venus avec des camions pour emporter les objets de valeur pris dans toutes les maisons. C’était effrayant de voir dans quel état ils avaient mis les appartements. Dans les armoires à linges, ils avaient donné des grands coups de sabre et toute la nourriture avait été enlevée !
On a même retrouvé dans le four de la cuisinière un plat où ils avaient fait leurs «besoins» !

Mais nous avons eu une chance, c’est qu’ils n’ont pas trouvé la réserve de sucre, pâtes, café, etc. qui se trouvait dans un petit placard sous l’escalier, mais en haut de cet escalier et très difficile à voir, masqué par la tapisserie à carreaux, parfaitement régulière. De ce fait, maman à pu aider les grands-parents paternels.
Dans la cave se trouvait un tonneau de vin de Bordeaux que mes parents avaient acheté à un démarcheur (avec échéances de paiement à termes échelonnés). Ce vin était en prévision de ma première communion.
Les Allemands ne l’ont pas vu. Ou méfiant, l’ont laissé. Certains croyaient à l’empoisonnement, c’était déjà arrivé.

Et ce vin, ma mère a pu le vendre aux Allemands qui l’ont demandé. Elle areçu le paiement en marks. C’était pour une fête au château où ils s’étaient installés.
En 1918, mes parents ont réglé le marchand de vin avec les marks qui s’étaient fortement dévalués. Il s’en contenta, c’était mieux que rien.
Ce temps d’occupation a été très dur pour ma mère. Elle avait été aussitôt mobilisée pour aller, comme toutes les femmes, nettoyer les casernes. Mais, ayant eu des syncopes et des hémorragies (elle était enceinte), elle fut examinée par un médecin allemand qui lui a donné un certificat la dispensant de travail. C’est donc moi qui faisais toutes les commissions. J’allais chaque jour sous les bombardements, hors de la ville, pour chercher du lait dans une ferme. J’ai fait la queue devant la boulangerie pour la distribution d’une boule de pain noir, le pain K.K. comme on l’appelait, une boule d’environ 500 g seulement pour les trois semaines d’occupation de BACCARAT par l’armée allemande. Mais, avec d’autres gamines, on circulait entre les popotes militaires. J’arrivais quelques fois à obtenir de la viande de cheval, provenant de chevaux tués par les bombardements. Car, pendant cette guerre, il y avait plus de chevaux que de «Chevaux Vapeur.» Je ramenais aussi des «biscuits» de soldat. Ceux des allemands étaient meilleurs que ceux des français qui avaient la taille d’un pion de domino et étaient très durs sous la dent. Il était difficile de me retenir à la maison en dehors des moments où je faisais des courses. Les bombardements ne m’effrayaient pas et je me plaisais à aller ramasser des éclats d’obus, quelques fois encore chauds. Je me souviens d’un jeune homme voisin qui est venu me rechercher en vitesse.
Nous étions sans nouvelles de mon père, totalement isolées de l’extérieur. Les allemands donnaient quelques fois un concert de musique au centre de la Cité. Des rumeurs circulaient. On disait que des officiers allemands, en arrivant à BACCARAT, étaient allés chez l’Administrateur de l’usine, Monsieur MICHAUX, pour lui demander s’il ne les reconnaissait pas. Quelques temps avant la guerre, des hordes (?) de charlatans forains voulaient s’installer sur une place contrôlée par l’Administrateur de la Cristallerie qui était aussi le maire de la ville. Il leur avait refusé et, paraît-il, c’était à ces officiers allemands, revenus lui demander des comptes.
A ce moment-là, il y avait beaucoup d’espionnage. Ainsi, la grande ferme de la «ROCHOTTE», à environ 1 km de la ville, servait à des rencontres d’espions et dès la guerre déclarée, la police y est allée pour en arrêter les propriétaires. Cette ferme était surveillée depuis quelques temps. La police n’y a trouvé personne, mais a découvert un souterrain qui débouchait loin de là !

Trois semaines après ces événements, les français ont repris l’offensive, par terre et par avion. Des biplans et des monoplans passaient presque au ras des toits. On craignait surtout les torpilles qui pouvaient passer à travers la voûte des caves.
Un beau jour, de bonne heure, les allemands nous ont offert un concert. Nous sentions que cela n’allait pas fort pour eux Et, effectivement, ils ont commencé à regrouper leurs affaires et dans la nuit ont battu en retraite.

Le lendemain matin, très tôt, les soldats français revenaient. Mais les allemands avaient fait sauter le pont sur la Meurthe. Les premiers français ont traversé à cheval, la rivière était large. Aussitôt, les femmes se sont empressées avec des cafetières et des bols. Elles distribuaient sans arrêt aux arrivants, tant que le café n’a pas fait défaut.
L’occupation, c’était fini pour nous. Les lettres de mon père, en attente, nous parvenaient enfin. Et, en accord avec lui, ma mère décidait de partir pour LOURDES, dès que cela serait possible.
Après, bien des démarches auprès de l’armée, nous avons pu embarquer dans une voiture militaire à cheval, pour RAMBERVILLER, à 10 km de BACCARAT. Là, nous avons attendu un train civil en partance vers le «Sud». Les trains civils marchaient au ralenti et étaient garés pour laisser passer les convois militaires. Nous avons mis une semaine pour arriver dans le midi. Je ne me souviens que d’un arrêt assez long vers Nîmes, dans les vignes. Les raisins étaient mûrs. Tous les gens sont descendus pour en cueillir. On n'avait rien à manger. J’ai remarqué en passant les Arènes de Nîmes.
De Lourdes, je ne me souviens de rien d’exceptionnel, à part la naissance de ma soeur BERNADETTE, «livrée» le 27 février 1915.
Dans la pension de ma tante et de mes grands-parents, il n'y avait pas de clients, les pélerinages étaient arrêtés. C’était, je crois à la mi-année. A Lourdes, j’avais été à l’école libre de «Massabielle». J’avais une institutrice très gentille, Mademoiselle MARSAN. Elle était d’OSSUN,. Et quand je suis revenue à LOURDES, dès 1920, je l’ai revue et nous avons eu de fréquents contacts, jusqu’à sa mort. Elle se rappelait que je n’étais pas très attentive. Je me souviens même avoir été punie parce que je griffonnais ce qui me plaisait. Aussi, une fois, elle m’a confisqué la feuille. Voici ce qu’elle y a trouvé: un rébus ! (ici, petit dessin, indescriptible).
Dès que mon père a pu obtenir une permission, nous sommes rentrés à BACCARAT, accompagnés par mon père et par mon grand-père qui s’ennuyait à mourir à LOURDES, loin de ses terres.
Trois jours pour rentrer et je me souviens d’un arrêt à IS/TILLE, noeud ferroviaire, avec changement de trains, longues attentes. Mon père y a rencontré un ouvrier camarade de l’armée. Il se nommait PELLETIER. Il m’a acheté une banane ! A neuf ans, je n’en avais jamais mangé.
De retour à BACCARAT, je repris donc l’école à «GONDRECOURT». Mais, à cause des bombardements répétés, au premier coup de tocsin ou de clairon - les «clairons» parcouraient la ville - nous descendions au sous-sol du château qui était très bien protégé. L’enseignement en souffrait, mais cela ne m’inquiétait pas tellement. A mesure que je montais en «division», dans ces classes, je m’y plaisais de moins en moins et ma dernière année en primaire fut la pire. Un jour, je n’ai plus voulu aller à l’école. Ce jour-là, l’enseignante donnait à faire une composition française. Le sujet: Quel métier choisirez-vous ? Je ne sais trop ce que j’ai écrit, mais cela ne devait pas être trop gentil pour elle. L’enseignante a lu mon devoir à haute voix dans cette classe où il y avait trois divisions. La première était la classe du brevet. Cela m’a profondément vexée et j’ai juré que le lendemain je ne reviendrai plus à l’école, à cette école partisane, celle des riches.

Moi, on me classait avec les pauvres, autrement dit: les ouvriers. Ce n’était pas une école pour moi !
A BACCARAT, il y avait deux sortes d’enseignement. La Cristallerie avait une école primaire que je fréquentais. On y enseignait jusqu’au brevet supérieur. Et puis il y avait la «communale». Mes parents avaient choisi pour moi l’école de la Cristallerie. Ils avaient probablement leurs raisons.

Mon grand-père «GUSTIN» vivait donc avec nous et j’allais le plus souvent possible avec lui dans son potager, situé dans un enclos bordé d’une haie, en bas de la petite pente d’un pré où il y avait toutes sortes d’arbres fruitiers. Il y avait monté une sorte de baraque solide et prenait très soin de ses arbres dont les fruits étaient magnifiques. On l’appelait ce lieu «Les Trois Fontaines». La propriété de mon grand-père, verger et potager, était située sur la colline de DENEUVRE. On y accédait par une ancienne voie romaine, chemin empierré. De là, superbe vue. Il avait aussi, un peu plus loin, un verger de cerisiers et plus loin encore, un magnifique bois de hêtres. A sa lisière, un champ travaillé par des cousins.
La guerre continuait, mon père se rapprochait quelques fois de la Lorraine. Il pouvait, alors, plus facilement faire un saut jusqu’à nous. Je me souviens l’avoir vu arriver à cheval, sur une jument nommée «AVRIL». Mais, ce n’était que des allers-retours.
Nous étions toujours en «première ligne,» sous les bombardements presque continus. Je me souviens qu’une fois, j’ai entendu dire qu’un aéroplane s’était posé sur un terrain en dehors de la ville, sur un champ de tir. J’y suis allée avec quelques gamines, c’était bien à deux kilomètres. L’avion était un biplan impressionnant !

Nous vivions toujours sous la menace de voir revenir les allemands. Nous avons dû déménager nos matelas pour aller nous installer sous les fours de la Cristallerie, dans de grandes galeries souterraines. C’était obligatoire durant les nuits. Les matelas étaient alignés par quartier, avec un responsable. Et, chaque matin, nous rentrions déjeuner à la maison. Parce que si nous n’étions pas rentrées, la maison pouvait être réquisitionnée pour loger des soldats de l’armée française. Surtout depuis l’annonce de l’arrivée des américains. De toute façon, il fallait déclarer les pièces que nous avions libres. Nous avons logé un aumônier militaire, l’Abbé ALBINHAC. Il était curé de Saint-François-Xavier de Paris.
Après, ce fut un jeune américain de Louisiane, il avait 19 ans. Il se nommait Gilbert SIMON. Gilbert SIMON jouait du violon. Je me souviens qu’ils étaient très gais ces soldats américains, surtout Gilbert lorsqu’il était en compagnie d’un copain. Une fois, ils s’étaient fait tous deux raser le milieu de crâne, sur une bande large de 10 cm, du front à la nuque. Ils ont envoyé leur photo à leurs parents, disant que c’était la mode en France !
J’aurais pu apprendre très facilement l’anglais, mais on n’y pensait même pas.

La guerre continuait. Les gens faisaient de la «charpie» avec des vêtements pour confectionner des pansements pour les blessés.

Les familles SIGVARD d’Alsace et de BACCARAT se battaient entre cousins. Les premiers avec les allemands, les autres contre. Un des cousins de mon père, mobilisé dans l’armée allemande, fut fait prisonnier et envoyé en Angleterre. Un jour, une lettre arrive d’Angleterre. Elle était de notre cousin Alfred SIGVARD, officier dans l’armée allemande. Il demandait à mon grand-père SIGVARD de faire en sorte de le faire libérer.
Mais mon grand-père refusa. Sans commentaires !

Nous étions toujours pour ainsi dire en première ligne. Des tranchées avaient été creusées aux abords de la ville.
Les soldats avaient creusé des tranchées également dans le bois de mon grand-père. On voyait arriver beaucoup de blessés. Le ravitaillement était toujours difficile. Nous avons appris à consommer des produits américains. On travaillait un peu le jardin.

Au moment de l’occupation, l’usine était tout de même en activité. La plus grande partie faisait des pièces de cristal qui partaient en Allemagne au début de la guerre. Une grande partie des bâtiments était occupée par les popotes allemandes et réserves de toutes sortes.
Toutes ces années de guerre se sont déroulées à peu près de la même façon.

L’hiver 1916-1917 fut très dur, comme l’hiver de 1885 disaient les anciens, avec des températures de -30¡. La Meurthe, rivière qui traverse BACCARAT, était entièrement gelée et pour aller à l’école qui se trouvait dans la partie opposée où nous habitions, plutôt que de passer par le pont qui avait été réparé provisoirement, en bois, je traversais la Meurthe, comme les autres, malgré les interdictions de ma mère.

Lulu, 11 ans, 1917


Au printemps 1917, mon grand-père maternel fut malade et resta partiellement paralysé. Sa maladie s’aggrava rapidement et il décédait le 13 mai, jour de ma communion solennelle.
Mon père absent, je suis allée manger chez des voisins. Ma grand-mère est arrivée de LOURDES. Cette période est assez vague pour moi.

Peu après, mon grand-père SIGVARD aussi fut malade, lui aussi fut paralysé. Et puis ma grand-mère maternelle décédait: maladie de coeur, disions-nous.
Mes parents avaient convenu que pour avertir mon père, toujours «au front», le télégramme indiquerait soit le mot de père si un des grands-pères décédait ou bien le mot de papa, si c’était l’autre. Parce qu’une permission n’était accordée que pour les parents et non pour les beaux-parents décédés.
Et donc, pour le décès de son beau-père, mon père eut une permission. Mais qu’il obtint seulement quelques jours après l’enterrement, le temps que le courrier trouve le secteur postal où il se trouvait, seule adresse qui nous était donnée pour raison de sécurité.

Ma grand-mère «lourdaise» est restée peu de temps à BACCARAT, le temps de préparer des fruits de la propriété pour les emporter dans les Pyrénées.


Après la guerre

Mon père sitôt rentré, repris son travail à l’usine. Il remit également de l’ordre au jardin éloigné d’environ 1 km 1/2. On partait avec la brouette pour emmener les outils et ramener les légumes. Souvent nous mangions sur place les produits cultivés. C’était le jardin du grand-père que nous avions conservé. Il y avait fait une cabane fermée à clé. Elle possédait un poêle. Il avait même creusé dans la terre, à l’intérieur, un logement fermé par une trappe, pour garder les choux fragiles au frais.
Dans un canal (propre) qui bordait le jardin, nous pouvions laver les légumes et les arroser. En hiver, il n’y avait au jardin, que des choux, la terre était entièrement gelée. Nous rentrions les carottes, navets, pommes de terre, poireaux, le tout dans notre cave. Les carottes étaient mises dans des tonneaux de sciures, les poireaux en jauge. Les fruits étaient étendus sur des claires-voies.
A l’automne nous faisions la choucroute. Pour cela, des couteaux spéciaux se passaient de famille en famille et on s’entraidait. La choucroute se conservait dans de grands tonneaux. On intercalait les couches de sel et de choux. Au dessus, on mettait un poids lourd sur le couvercle intérieur. La saumure était nettoyée régulièrement, on jetait cette eau chargée et on la remplaçait par de l’eau propre, très souvent au commencement, moins souvent ensuite.

A 12 ans, je suis entrée en apprentissage.

C’était une autre vie qui commençait pour moi.


Lucienne GEOFFRE."


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