Dans le haut Aragon, le Rio Cinca est un torrent
pyrénéen, grossi de nombreux affluents mineurs, tous
nés des neiges et glaciers et qui conflue avec l’Ebre en
aval de Fraga.
C’est dans la haute vallée de ce rio que se
situe l’épisode héroïque mais tragique de la
43ème division républicaine. Les principales
localités qui sortiront de l’anonymat séculaire,
lot des villages de montagne, se situent en amont de Ainsa :
Escalona, Laspuna, Salinas, Bielsa surtout et Parzan.
Bielsa, au confluent du rio Cinca et du rio Barrosa compte
alors environ 900 âmes, avec ses hameaux de Javierre, Espierba,
Chisagues et Parzan. L’activité essentielle est
l’agro-pastoralisme qui conduit les éleveurs à
avoir autant de contact avec les vallées françaises du
versant nord, qu’avec la basse vallée de la Cinca à
laquelle aucune route matérialisée ne la relie. Portant,
au début du XXème siècle, la haute vallée
s’ouvre à l’ère industrielle par
l’exploitation des mines de plomb argentifère à
l’hôpital de Parzan, par la compagnie Pena Proya, minerai
qui sera évacué par la vallée de Moudane, en
France, grâce à un câble aérien de 14 km.
Puis vint la société Iberica qui entrepris
l’aménagement hydroélectrique du Cinca et du
Barrosa. C’est à elle que l’on doit le percement de
la première route carrossable de Salinas à Bielsa en 1922.
Enfin, en 1931, un sanatorium sera créé sur les llanos de la vallée suspendue de Pineta et
qui emploiera des jeunes filles du pays. Ces activités nouvelles
favorisent les contacts avec un monde extérieurs
d’ouvriers ou personnel divers qui véhiculent des
idées politiques nouvelles dans ces localités
montagnardes. Aussi, c’est sans surprise qu’aux
élections de février 1936, la majorité des
électeurs belsetans se porte sur le candidat du parti socialiste
ouvrier qui donne satisfaction à leurs concitoyens par leur
gestion généreuse et tolérante.
Mais quand éclate l’insurrection franquiste en 1936,
les ouvriers du barrage de Mediano, affiliés au syndicat CNT se
mobilisent et sous l’autorité d’un chef de chantier
d’origine asturienne, anarchiste, Emilio Fernandez, remplacent
les élus locaux de la haute vallée de Cinca par des
comités révolutionnaires. Et cela, sans rencontrer de
résistance.
Cette même action se communique vers l’aval,
jusqu’à Barbasto, et remonte la vallée de
l’Ara par Boltana, jusqu’à Broto et Torla. A Bielsa,
le comité local est constitué de 4 militants de
l’UGT de tendance socialiste tolérants et pondérés dans leurs prises de position.
Les choses évoluèrent vers le 23 juillet 1936
quand les éléments anarchistes, les
« agui-luchos », venus de la base vallée,
activent une politique radicale d’épuration contre tous
éléments réactionnaires ou cléricaux. Si le
curé et le vicaire de Bielsa peuvent fuir en France avec la
complicité de la population locale, il n’en va pas de
même d’un commandant, natif de Plan et retiré
à Salinas chez sa fille et du curé de Puertolas, qui seront exécutés dans des conditions assez atroces.
C’est aussi à ce moment qu’a lieu le
rappel des conscrits des diverses classes des années 30,
auxquels s’ajoutent de jeunes volontaires. Certains sont
dirigés vers divers fronts où les troupes
républicaines luttaient avec des succès divers ;
d’autres sont incorporés sur place dans des brigades
affectées à la surveillance des points
névralgiques de la Haute Cinca. Du regroupement de ces diverses
brigades va naître la 43ème division.
Pourtant, Bielsa et les villages voisins, connaissent une relative quiétude au fond de leur vallée jusqu’en mars 1938 quand
les nationalistes lancent leur offensive sur le haut Aragon.
C’est alors, pendant deux mois et demi que va s’illustrer
cette 43ème division qui résistera farouchement dans ce
qui devait devenir la poche ou « bolsa » de Bielsa.
Les principaux personnages
ANTONIO BELTRAN – EL ESQUINAZAU
Chef emblématique de la 43ème division, il
naît à Canfranc en 1897. Aussi admiré par ses
hommes que controversé par la suite, il organise savamment la
guérilla de résistance de la vallée de Niscle
à la PENA MONTANESA ? Du COTIELLA à URDICETO.
On pourrait voir en lui un des derniers condollieris
égaré au 20ème siècle. Chauffeur de taxi
dans sa ville natale, il adhère au parti communiste, puis voyage
aux USA, s’enrôle dans l’armée
américaine avant de revenir en Europe dans le premier conflit
mondial. Après la retraite de la 43ème division, il
rejoint Moscou comme membre de l’académie militaire Frunze
et en profite pour écrire, à son avantage,
l’épisode de la « bolsa de Bielsa »
et les exploits des miliciens de la 43ème division.
Après 1945, revenu en France, il organise des
passages clandestins vers l’Espagne, est
« déporté » en Corse par le
gouvernement français. Il repart en Amérique latine et
est suspecté d’entretenir des relations avec la CIA. Il
meurt à Mexico en 1960.
Moins connu, bien plus discret mais tout aussi efficace,
JUAN LACASA, né à Bielsa, est le vrai créateur de
la 43ème division, renforcée par la débandade de
la 31ème après les combats sur l’Ebre.
Théoricien de la guérilla, sur ses vieux jours, il
estimait que l’évacuation
« provoquée » de la population civile fut
certainement une erreur.
Autre second de Beltran, le commandant BARRAU, lui aussi de
Canfranc, mort en exil à Pau. Et encore, RAMIREZ JIMENEZ, chef
d’Etat-major, GRACIA ROYO commissaire de guerre.
Les forces en présence
La 43ème division est constituée de 3
brigades, et chacune de 3 bataillons de 500 hommes. Les 9 bataillons
regroupent donc environ 4500 hommes. L’armement devait
consisté en 3800 fusils, 81 fusils mitrailleurs, 72
mitrailleuses, 4 mortiers, 20 lance-mines et 7 canon de 750, dont 2
franchiront la frontière à 2378m (!) lors de la retraite
en France, avant d’être désarmés à
l’arsenal de Tarbes.
Les nationalistes opposent 9 bataillons de 5850 hommes, 4000
fusils, 80 fusils mitrailleurs, 70 mitrailleuses, 36 mortiers et 24
canons. Mais ils auront surtout l’appui de l’aviation
allemande ou italienne avec les Heinkel et les Saboya.
Les événements
L’offensive franquiste est lancée le 22 mars 1938
vers le nord et les cols pyrénéens, à partir de la
ligne de Lerida-Huesca. Les 27 et 28, ils sont à Barbastro. La
31ème division républicaine en déroute, reste la
43ème division qui organisera la résistance dans la haute
vallée de la Cinca, du 3 avril au 15 juin.
La ligne de défense va du cirque de Cotatuero
à l’ouest au col de Sahun au nord-ouest de Venasque, en
s’appuyant sur la Pena Montanesa et le Cotiella.
Le 3 avril, l’attaque se développe vers
Laspuna et la Pena Montanesa, appuyée d’une
préparation d’artillerie et des raides d’une
escadrille de bombardiers légers. La bataille fera rage trois
jours durant sans avantage particulier. Et, du 6 au 14, une relative
accalmie permet aux deux camps de se réorganiser. Le 15 une
violente attaque contre la Pena ne donne pas de résultats
tangibles. Mais, une nouvelle pause du 16 avril au 14 mai annonce
l’assaut final, alors que l’aviation survole
régulièrement les lignes et lance des tracts invitant
à la reddition. Les 13 et 14 les miliciens de la 43ème
division simulent même une retraite nocturne, avec feux et
rideaux de fumée, piège dans lequel tomberont les
franquistes, qui, croyant le terrain abandonné, essuieront de
fortes pertes.
Du 15 mai au 9 juin, nouveau calme. Le 10 les bombardements
reprennent et le 11, l’attaque se fait par l’est. Les cols
de Sahun et de las coronas sont investis.
La 102ème brigade se retire sur Gistain. Elle
passera en France par le port de Plan et d’Urdiceto. Les
nationalistes accentuent leur pression, incendient Bielsa. Pour la
destruction par bombes de Parzan et du sanatorium de Pineta, les avis
sont plus nuancés, certains, même dans la camp
républicain, en attribuant la responsabilité aux
défenseurs, en vertu de la politique de la terre
brûlée.
La retraite générale vers la France est ordonnée le 16 juin 1938 ;
on estime que l’essentiel de la 43ème division, mission de
résistance accomplie, a franchi les cols du Rieumajou ou de
Bielsa ou le plus souvent du Port-Vieux de la Gela.
Le drame de la population civile.
Sur ce cadre tragique des conflits meurtriers allait se
superposer le drame des populations civiles, victimes des combats, de
certaines exactions, parfois de sordides règlements de comptes,
favorisés par l’insécurité ambiante. Nous
nous intéresserons surtout à un autre volet de cette
détresse humaine : l’exode.
Tous les aragonais ne choisirent pas les routes de
l’exil. Une grande partie de la population civile
préféra subir, se terra et survécut à ce
drame, ayant choisi la misère chez soi plutôt que la
misère assurée dans l’inconnu d’une terre
étrangère.
D’autres choisirent l’exil, effrayés par
l’acuité des combats qui menaçaient leurs vies ou
qui voyaient brûler leurs biens. D’autres furent
poussés à l’exode par les miliciens de la
43ème division républicaine, chose incontestable puisque,
comme déjà dit plus haut, le second de Beltran, Lacasa,
le célèbre ‘Comandante Juanito’,
reconnaissait sur ses vieux jours que l’évacuation de la
population civile fut certainement une erreur.
Nous sommes obligés de nous référer
aux comptages produits par la presse de l’époque, journaux
régionaux aux opinions diverses, mais qui se rejoignent dans
l’approximation des passages quotidiens.
Ainsi, le 19 mars 1938, les premiers
réfugiés sont signalés à Loudenvielle dans
le Haut-Louron, le 1er avril on comptabilise 2000 espagnols à
Luchon sans doute chassés par les hostilités au Val
d’Aran.
Le 2 avril on dément des passages dans les
Hautes-Pyrénées, mais le lendemain les premiers
réfugiés sont à Saint-Lary. Le 5, c’est la
population de Torla qui arrive à Gavarnie : on peut voir
là, la conséquence des premiers vrais combats de la Haute
Cinca et de la vallée de l’Ara ; Puis, tout se
précipite.
Le 7 avril, 47 réfugiés sont accueillis
à Saint-Lary, le 8 ils sont 850 ; le 9, 320 ; le 10,
375 ; le 11, 579 ; le 12, 721 ; le 13, 496 ; le 14,
250 environ, mais avec des blessés ; le 15, 300
blessés sont attendus, venus certainement du sanatorium de
Pineta. L’évêque de Tarbes et Lourdes, Monseigneur
Choquet, se rend à Fabian et facilite le fret des ambulances des
sanctuaires de Lourdes.
380 civils encore le 17 avril, 488 le 18, dont une femme de
103 ans à qui on a fait franchir la frontière,
portée par ses proches !
Le nombre exact de ces passages peut-être contesté mais une note de frais officielle du 15 avril 1938 établissait à 4115 le nombre de réfugiés passés par Saint-Lary à cette date.
Mais ce ne sont là que des chiffres dans leur
sécheresse. Regardons plutôt quelles furent les conditions
de l’exode. Il avait beaucoup neigé cet hiver là et
les chutes tardives interdisaient les passages frontaliers. On dut
envoyer des volontaires du côté français pour aider
les miliciens espagnols à creuser une profonde tranchée
au Port-Vieux de la Gela. Le versant espagnol était bien
dégagé, mais le côté français
exposé nord resta longtemps pris par les neiges. Des photos
d’agence nous montrent des malades, évacués par
deux, à dos de mulets, sur des cacolets versant sud, mais
retenus sur des luges individuelles, par câbles, sur le versant
nord. Et que furent les souffrances de ces malheureux qui
espéraient emporter sur leurs épaules un peu de leur
avoir qu’ils abandonnaient ensuite, en chemin, harassés de
fatigue. Combien d’enfants s’égarèrent de
leurs parents dans ces convois.
La presse relata le drame de cette mère qui vit son
enfant glisser sur une pente abrupte et enneigée et
disparaître dans la Neste de la Gela. 60 ans plus tard,
j’ai retrouvé un vieil espagnol, témoin de ce drame
et qui me disait en pleurant : « Si on avait eu des
cordes, on pouvait le sauver. Nous l’avons tous vu mourir,
impuissants. »
Et qui dira les désespoirs nés de ces
éclatements de familles que l’on dispersait à la
hâte dans des centres d’accueil en Mayenne, dans la Sarthe
ou bien d’autres départements ?
Puis, au mois de mai 1938, ce fut un nouvel
exode. Dans sa politique de la terre brûlée,
l’Etat-major de la 43ème division fit passer en France un
énorme troupeau soit par le Rieumajou, soit par le Port-Vieux.
Le 8 mai, 540 bovins ; 612 le 31 accompagnés de 42
ânes, ceux-ci par Ourdicetou et l’Hospice du Rieumajou. Par
la Gela et le Port-Vieux, transitèrent 630 ovins et caprins le
14 juin, 1500 le lendemain avec 530 bovins ; le 18 ce sont 7000
ovins qui passèrent au Plan d’Aragnouet, 300 mulets le
lendemain.
Le 21 juin 1938, une note des services
vétérinaires reconnaissait l’inspection à ce
jour de 2182 bovins, 15630 ovins et 450 mulets, ânes et chevaux.
On craignit les épizooties, peu de bêtes
moururent, surtout de fatigue ou de faim. L’herbe est rase en
montagne au printemps ! A marches forcées, on conduisait
ces bêtes à la gare d’Arreau et par rames
spéciales, par Toulouse, Foix et la Tour de Carol, on
s’empressait de les rendre au gouvernement républicain de
Barcelone, seule autorité politique encore reconnue par la
France.
Enfin, pour clore l’épopée, la
43ème division franchit à son tour la frontière
les 15 et 16 juin. De Fabian, par camions, les malades et les
blessés furent descendus sur Arreau.
Le 18 juin, dans ce même Arreau, un dernier train
emportait les 320 derniers miliciens. Une commission officielle avait
laissé à tous le choix de leur rapatriement : 643,
espérant regagner leurs villages, tentèrent leur chance
en rentrant par Irun pourtant aux mains des franquistes ; 8537
choisirent de rentrer par Cerbère pour reprendre la lutte aux
côtés des restes de l’armée
républicaine qui tenait encore la Catalogne.
Le rideau tombait sur ce drame dont la Vallée
d’Aure fut en partie témoin : on n’a pas encore
oublié les cohortes de malheureux accueillis sommairement dans
les hangars ou les étables, les énormes troupeaux qui de
jour ou de nuit passaient dans les villages aux sons de leurs
énormes clarines, les miliciens dépenaillés qui
levaient encore le poing, les amoncellements d’armes de tout type
au long des routes, armes dont les gendarmes et gardes mobiles devaient
délester les combattants vaincus.